Dans « La petite voix », ce n’est pas Orelsan qui parle. C’est Sama, son critique intérieur, qui prend la parole et provoque malgré lui le clash avec Kylian Mbappé. On t’explique tout.
Tu as sûrement entendu parler du clash Orelsan Mbappé qui secoue le monde du rap et du foot. Le 7 novembre 2025, l’artiste publie son album La Fuite en avant, qui accompagne la sortie de son film Yoroï.
Dans le morceau La petite voix, une punchline, prononcée par un certain « Sama » suscite immédiatement la polémique : « Tu vas faire couler ta ville comme les Mbappé ».
Ci-dessous, on t’explique le contexte du clash. Ensuite, on te montre qui est Sama, le « critique intérieur » d’Orelsan, un concept bien connu dans le monde de la psychologie.
⚡ L’essentiel
- Sama, c’est la petite voix critique dans la tête d’Orelsan.
- C’est elle, pas lui, qui prononce la punchline sur Mbappé.
- Dans son film Yoroï, Sama devient un démon intérieur qu’Orelsan affronte.
Pourquoi Mbappé a-t-il réagi ?
La punchline d’Orelsan vise indirectement le club Stade Malherbe Caen, dont Mbappé est devenu propriétaire l’été 2024. Quelques mois après le rachat, le club a été relégué en National (3ᵉ division).
La phrase énoncée par Sama : « Tu vas faire couler ta ville comme les Mbappé », concerne donc directement cet état de fait.
Le lendemain de la sortie de l’album, Mbappé a répliqué sur X avec un message piquant : « Tu es le bienvenu pour ‘sauver’ la ville que tu aimes tant Orelsan ». Il a ajouté : « PS : Le mec a fait que nous supplier pour entrer avec 1 % sans payer parce qu’il a pas un rond mais pour avoir la bonne image du petit gars de Normandie. »
La réponse d’Orelsan
Pendant quelques jours, le rappeur a dit qu’il préférait « réfléchir plutôt que de répondre à chaud ».
Le 21 novembre, il a publié une vidéo d’explication pour remettre les choses en contexte. « La fuite en avant (NDLR : son dernier album) est sorti il y a deux semaines, et j’ai remarqué qu’il y en avait qui n’avaient pas exactement bien compris l’album. Et je ne vise personne en particulier », dit-il en passant devant une photo de Kylian Mbappé.
Dans cette vidéo, Orelsan explique comment la chanson « La petite voix » met en scène un personnage, qu’il appelle « Sama », et qui représente une sorte de démon intérieur. Il précise ainsi que les paroles litigieuses n’expriment pas son opinion personnelle mais celle de son critique intérieur, Sama.
Mais qui est donc ce fameux Sama ?
🎵 “Ta famille, ça dégage, OrelSan, ça dégage
Grosso modo, tout dégage à part moi
En vrai, fuck San, maintenant, place à Sama”
Pour écouter le morceau en question et l’extrait ci-dessus, c’est par ici :
Orelsan précise dans sa vidéo que Sama est en fait son « critique intérieur ».
Le « critique intérieur » désigne cette petite voix mentale qui commente tes gestes et tes intentions avec sévérité.
Les psychologues l’associent à un ensemble de pensées automatiques négatives qui surgissent sans réflexion consciente.
Elles prennent souvent la forme de jugements catégoriques — « tu vas rater », « tu n’es pas à la hauteur » — et influencent la perception que chacun a de ses compétences, de sa valeur et de sa légitimité.
Comment nait le critique intérieur ?
La petite voix (Sama) ne naît pas par hasard.
Les chercheurs en psychologie du développement expliquent qu’elle se construit à partir d’expériences marquantes :
- remarques dépréciatives répétées durant l’enfance
- exigences parentales élevées
- humiliations scolaires
- moqueries de pairs
Avec le temps, ces messages extérieurs deviennent des règles internes. L’individu finit par les considérer comme des vérités personnelles, même quand elles ne correspondent plus à sa réalité.
Sama a un rôle protecteur
Le critique intérieur (Sama) joue paradoxalement un rôle de protection.
Il cherche à éviter la honte, l’échec ou le rejet, mais utilise des stratégies inefficaces :
- l’auto-dévalorisation
- l’anticipation du pire
- l’inhibition
Les études montrent que le critique intérieur (Sama) peut freiner la prise d’initiative, augmenter l’anxiété et alimenter des troubles comme le perfectionnisme contraignant ou l’estime de soi fragile.
Le repérer constitue la première étape pour l’affaiblir, en réintroduisant nuance et distance dans ce discours mental souvent très rigide.
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📸 Je rejoins Pik! sur InstaQue signifie « Sama » en japonais ?
Orelsan revendique depuis des années l’influence de la culture japonaise dans son travail, de ses clips à son esthétique visuelle.
Le film Yoroï, sorti la même semaine que l’album, multiplie d’ailleurs les références à l’animation et aux codes narratifs nippons.
En fait, le mot « Sama » est un suffixe japonais formel. Assez solennel. C’est une marque de profond respect qu’on utilise au Japon quand on s’adresse à un supérieur quelconque. On place donc sama derrière :
- le nom d’un supérieur hiérarchique
- le nom d’un noble de haut rang
- le nom d’un dieu ou d’une déesse.
Les Japonais l’utilisent aussi pour parler à un client de leur magasin ou quand ils s’adressent à quelqu’un à qui ils vouent une certaine admiration (chanteur, acteur ou artiste, par exemple).
Dans son album, Orelsan parle ainsi de « Orelsama ».
Le choix de ce suffixe n’est donc pas anodin. On peut imaginer qu’appeler son démon intérieur « Sama » revient à donner un statut supérieur à cette voix intrusive, comme si elle dominait tout le reste.
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👍 Je rejoins Pik! sur FacebookLes différents groupes sociaux au Japon
Au Japon, de nombreux groupes sociaux sont, en fait, reflétés par des suffixes distincts
- (-先生,せんせい, -sensei) pour les professeurs
- (-選手, -せんしゅ,-senshu) pour les athlètes
- (軍人-gunjin ) pour les militaires
Dans le même ordre d’idées, « 様 » (-sama), comme honorifique, indique un très haut niveau de respect
En japonais, -san signifie « monsieur ».
« Orel » est en réalité une référence directe au prénom du chanteur qui s’appelle en réalité « Aurélien ». « Orelsan » signifie donc « Monsieur Aurélien » en japonais.
Sama est évoqué dans d’autres titres de l’album
Orelsan évoque aussi son critique intérieur, Sama, dans le morceau « Epiphanie ». Il le mentionne en citant son fils, qui, au moment d’écrire le morceau, n’était pas encore né :
🎵 “Maintenant, j’sais que quand il arrivera
J’écouterai plus la petite voix
Celle qui m’tire vers le bas, qui fait que t’y arrives pas
Celle qui prend la voix de ton père, qui dit "t’iras nulle part"
Celle qui dit qu’t’es minable, qui dit "baise-la, quitte-la"
La paranoïa qui dit qu’untel ou truc a dit ça
Machin a l’air bizarre, qui fait qu’tu sais plus qui croire
Celle qui fait qu’tu t’énerves avant d’comprendre c’qui s’passe
La boule de haine dans l’ventre, le maléfice dans l’miroir
Maintenant, quand j’entends cette voix, j’imagine mon petit gars
J’sais qu’c’est plus seulement la mienne, mais aussi son histoire
J’sais qu’avant, j’étais tout seul, mais désormais, j’suis trois
Et qu’mon seul but, c’est d’mettre un sourire sur leur visage”
Dans cet extrait, on se rend compte qu’Orelsan prend conscience de sa petite voix. Et qu’il décide qu’elle ne prendra plus le dessus quand il deviendra papa.
Le 13ème morceau de l’album La fuite en avant porte carrément le titre de « Sama ». On peut y entendre Sama déclamer sa prose.
Il clashe tout le monde : les blancs, les riches, les jeunes, les féministes, les politiques, les geeks, les influenceurs, les alcooliques, les nazis, les masculinistes. Et tout le reste.
Tout le monde en prend pour son grade.
Le morceau termine comme ceci :
🎵 “Sama, j’rentre dans ta tête, t’as les yeux qui s’révulsent
Sama, qu’est-ce que les moutons veulent demander d’plus?
Sama, j’baise trop, j’ai plus d’prépuce
Zéro chance qu’j’m’excuse, après moi, l’déluge
Sama”
Sama ne s’excusera ainsi jamais d’être qui il est.
Yoroï, le film qui accompagne La Fuite en avant
Au-delà de l’album, la figure de Sama prend tout son sens dans Yoroï, le film qui accompagne La Fuite en avant.
Dans plusieurs interviews récentes, Orelsan décrit Yoroï comme « un voyage à l’intérieur de la tête d’un artiste », un film qui matérialise « les trucs qu’on se raconte quand on panique ».
Orelsan y affronte des Yokaï — des créatures surnaturelles japonaises. Un Yokaï peut être un monstre, un être magique ou mystérieux, ou même un objet. Dans le film, Orelsan présente les Yokaï comme des incarnations de ses propres démons intérieurs :
- passé toxique
- addictions
- peur d’être père
- surexposition (dans les médias)
- tentations
- solitude
La petite voix (Sama) est un autre des Yokaï présents dans le film. C’est le fameux critique intérieur.
Dans le film, le spectateur découvre une bataille où l’on affronte non pas des monstres réels, mais ses propres angoisses.
Le climax du film, une confrontation épique entre Orelsan et son double maléfique Orelsama, incarne cette dualité. Le combat final se conclut sur une leçon de résilience : accepter ses failles plutôt que de les fuir.
En bref : Sama est un démon intérieur
Au fond, le clash entre Orelsan et Mbappé n’aura été que la partie visible d’un mécanisme plus intime : la manière dont une voix intérieure peut déborder dans le réel. Avec Sama, le rappeur expose ce que beaucoup préfèrent dissimuler : cette zone floue où la peur, le doute et l’exigence se mêlent en un discours intérieur souvent plus tranchant que n’importe quelle critique extérieure.
À travers La petite voix et Yoroï, Orelsan rappelle que chacun cohabite avec ses propres Yokaï : ces pensées qui nous déstabilisent autant qu’elles cherchent à nous protéger. Le véritable enjeu dépasse la punchline et la polémique : il touche à notre capacité à reconnaître ces forces invisibles qui orientent nos réactions, nos élans et parfois nos erreurs.
Dans une époque où l’image publique semble primer sur la nuance, son œuvre propose une réflexion inattendue : et si l’essentiel n’était pas de faire taire ces voix intérieures, mais d’apprendre à les apprivoiser ?
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